SOFRALAB, 79 avenue Alfred Anathole Thevenet, 51530 Magenta, France
WQS, Vinventions Enology team, 7 avenue Yves Cazeaux, 30230 Rodilhan, France
Le travail présenté ici a été réalisé à parts égales par les 2 organisations.
Les premières mentions de la pratique du collage sur vins se retrouvent dans les ouvrages du XVIIème siècle. Le lait, le sang, le blanc d’œuf et la colle de poisson sont alors utilisés comme auxiliaires de collage.
Depuis la crise de la vache folle, fin des années 90, la demande en vins sans produits d’origine animale et sans allergènes n’a cessé d’augmenter.
Une sélection de nouvelles matières premières alternatives a été réalisée et testée par le groupe Sofralab, qui a porté le projet à l’OIV en 1999 et 2006. Ainsi, les protéines extraites de pois et les extraits protéiques de levures ont donné naissance à une nouvelle génération de produits de collage. Aujourd’hui, SOFRALAB lance Oenoterris®, une marque pour porter le concept d’agro-œnologie raisonnée. L’objectif est de penser ses pratiques viticoles et œnologiques en continuité et d’apporter les intrants les plus adaptés au bon moment et à la juste dose. Dans le levier œnologie, le collage constitue le premier maillon à raisonner en termes d’intrants.
Les effets d’un collage, sur moût ou vin, sont multiples :
- Amélioration de la limpidité
- Tassement des particules solides et rapidité de ce tassement
- Gestion de la couleur
- Prévention ou traitement des phénomènes d’oxydation via la gestion des polyphénols
- Amélioration organoleptique
Finalement, l’action de collage joue sur deux grands axes que sont la clarification (limpidité et tassement) et la modification ou élimination de composés pour valoriser la qualité finale du vin (gestion de la couleur, des polyphénols, amélioration organoleptique).
Sur le premier axe qui comprend le tassement et la clarification, l’appréciation du collage est aisément mesurée en cave, que ce soit visuellement ou à l’aide d’un turbidimètre.
En revanche, la gestion des polyphénols et des paramètres de la couleur sont des paramètres plus difficiles à estimer en cave. En effet ils requièrent traditionnellement une mesure au spectrophotomètre avec tous les biais que cela peut comporter, le principal étant que le jus une fois arrivé au laboratoire n’est plus représentatif de la cuve. De plus, ces mesures ont une forte incertitude et les résultats, prennent plusieurs heures, voire jours, ce qui empêche une prise de décision rapide et à la cuve.
L’utilisation de capteurs fiables, facilement utilisables à la cave, qui ne nécessitent pas de préparation d’échantillons et présentent des résultats instantanés s’impose donc de plus en plus. C’est dans cet objectif que WQS, la marque de service œnologique de Vinventions, développe des outils de terrain pour permettre de mesurer les paramètres qui le nécessitent directement en cave et prendre les décisions au plus vite lorsque nécessaire. C’est le cas, en particulier du PolyScan pour la mesure des concentrations de polyphénols et du Color pour la mesure des caractéristiques chromatiques des moûts et vins.
En pratique, il n’existe pas de colle parfaite ou idéale. Toutes agissent de manière plus ou moins efficace sur chacun des paramètres précédents. Il est donc primordial de bien qualifier le jus de départ et de déterminer l’objectif premier du collage pour sélectionner le produit le plus adapté, puis sa dose d’emploi.
Le travail mené par WQS depuis 10 ans sur les polyphénols et la couleur permet de caractériser et trier les jus. Couplé avec l’expertise des produits œnologiques du groupe SOFRALAB, les expérimentations ont permis de caractériser les effets des colles et de mettre au point un outil d’aide à la décision pour optimiser les décisions de collage sur moût en temps réel.
La suite de cet article présente la mise au point de cet outil issu de la rencontre des expertises de SOFRALAB et WQS.
Pour commencer, la concentration en polyphénols est à rapprocher des risques d’oxydation futurs des vins blancs et rosés. La mesure de leur teneur in situ pour les moûts et vins a été développée par des méthodes électrochimiques et l’utilisation de ces mesures pour la prise de décisions en œnologie a été mise en avant par ailleurs (Ugliano et al. 2019, Pascal et al. 2020, Hastoy et al. 2020). La mesure par voltamétrie linéaire de balayage, réalisée sur des électrodes imprimées à usage unique consiste à appliquer des tensions croissantes à l’échantillon. À chaque pas de tension, différents composés sont oxydés et en conséquence, des électrons sont libérés générant un courant. La courbe intensité vs potentiel qui en résulte (Figure 1) est une « empreinte digitale » des composés oxydables présents dans l’échantillon. Celle-ci évolue tout au long de la vinification.
Pour faciliter l’interprétation des données en temps réel et l’aide à la décision pour les vinificateurs, des indices sont calculés par l’appareil à partir de cette courbe, notamment les deux suivants :
- PhenOx : teneur en polyphénols totaux (en mg/L équivalent acide gallique) en corrélation avec l’indice Folin Ciocalteu.
- EasyOx : composés facilement oxydables, parmi lesquels se trouvent les acides hydroxycinnamiques, cibles de la polyphénoloxydase et en partie les anthocyanes natives.
Les mesures réalisées avec le PolyScan depuis 2014 alimentent une base de données comportant plus de 40 000 mesures à ce jour. Cette base de données permet aux utilisateurs d’accéder à des valeurs de référence, notamment la valeur médiane des indices, par cépage et par étape de vinification. Cette méthode collaborative permet une prise en main plus rapide de l’outil, ne nécessitant pas plusieurs millésimes de travail à l’échelle d’un utilisateur pour obtenir des références.
Les jus sont ainsi triés en 4 catégories selon leur niveau de PhenOx et EasyOx comparés à la médiane du cépage considéré (Figure 2).
Les moûts qui appartiennent à chaque catégorie correspondent à des types de raisins et de traitement de la vendange très variés.
Ainsi, la catégorie « P+ » correspond à des moûts qui sont riches en polyphénols, obtenus à partir de vendanges riches en polyphénols. Se retrouvent dans cette catégorie les moûts issus de vendanges ayant subi des stress hydriques ou les jus de vendanges ayant subi des opérations favorisant les extractions (ramassage machine, sulfitage à la benne / au pressoir, macération, température de vendange élevée, nombre de rotations important lors du remplissage du pressoir et en cours de pressurage…). Les fins de presse de raisins moyennement riches en polyphénols peuvent se retrouver également dans cette catégorie.
Au contraire, les moûts « P- » sont pauvres en polyphénols, soit parce que le raisin dont ils sont issus l’est naturellement ou parce qu’ils ont été peu extraits au cours du process.
Les jus qui appartiennent à une catégorie « E+ » ont été protégés de l’oxydation ou peu
oxydés tandis qu’à l’inverse les jus « E- » ont déjà subi une oxydation enzymatique.
Voici un exemple caricatural de jus habituellement retrouvés dans chaque catégorie :
- P-E+ : gouttes de Sauvignon Blanc des grands crus Bordelais, de manière générale les moûts destinés à l’obtention de profils thiolés
- P-E- : jus de bennes, fortement oxydés, jus de pressoir continu
- P+E- : presses de Chardonnay issus de terroirs chauds
- P+E+ : presses de rosés de Syrah
Par ailleurs, la couleur des moûts est liée à l’extraction de polyphénols et à leur éventuelle oxydation. Elle peut être influencée par de nombreux paramètres dont le sulfitage, le pH etc. La mesure de cette couleur sur moût permet de corriger précocement clarté et teinte des moûts pour atteindre un objectif produit défini.
La mesure des caractéristiques chromatiques, telles que définies par la commission internationale de l’éclairage (CIE 1976) et reprise par l’OIV (OIV-MA-AS2-11 : R2006), permet d’obtenir une information proche des sensations de couleurs ressenties par un observateur.
- La clarté, L*, qui désigne la luminosité des vins
- La teinte, h°, qui désigne la couleur : rouge, jaune…
- La chroma, C*, qui est lié à l’intensité plus ou moins forte de sa couleur.
Dans ce référentiel, les couleurs sont représentées dans une sphère et chacune est définie par les 3 coordonnées L*, C* et h° (figure 3) ou de manière alternative L*, a* et b*. L’utilisation des coordonnées L*C*h° est préférée ici car elle donne accès directement à la couleur de l’échantillon par la teinte (h°), ce qui est plus simple en termes d’interprétation que l’utilisation des paramètres a* et b*.
L’utilisation d’un colorimètre portable, le Color P100, permet d’évaluer rapidement en cave les coordonnées chromatiques des vins. La mesure est réalisée en réflectance et peut être réalisée sur des échantillons sans préparation.
De plus, au cours des essais sur moûts présentés plus bas, une corrélation a été observée entre clarté et chroma des échantillons (figure 4) : les échantillons présentant une clarté élevée (les plus clairs) ont une chroma faible (grisâtres). Ce sont donc uniquement les coordonnées L* et h° qui seront utilisées dans la suite de l’article, car suffisantes pour une première approche et permettant de simplifier le raisonnement et donc les prises de décision à cette étape du process.
Dans la pratique, le collage des moûts pour des raisons de couleur peut être destiné à modifier la clarté pour des moûts considérés comme trop foncés ou à éliminer des pigments bruns issus de l’oxydation enzymatique. Les coordonnées L* et h° permettent donc de caractériser les jus et de décider du collage en fonction de ses objectifs de couleur. La clarté du moût augmente lorsque le L* augmente. L’angle de teinte h° varie de 0° pour les teintes rouges à 90° pour les teintes jaunes.
Dans le cas des moûts de rosés, un angle de teinte h° plus élevé indique que le moût
est plus orangé donc que des pigments bruns d’oxydation enzymatique sont présents.
Dans le cas des moûts de blancs, à l’inverse, les jus non oxydés ont des angles de teinte élevés (plus proche du jaune / vert) et la présence de pigments bruns d’oxydation implique la baisse de l’angle de teinte h°.
De la même manière que les moûts sont catégorisés à l’aide du PolyScan, ils peuvent être classés dans le système de couleur décrit ci-dessus. La figure 5 présente la catégorisation des moûts de blancs et rosés du projet.
a)
b)
Au cours de ce travail, plus de 1600 modalités de collage ont pu être réalisés sur moûts, sur 22 cépages différents en France, à l’échelle du laboratoire et en cave. Pour chaque essai, différentes colles à différentes concentrations ont été utilisées. Des mesures PolyScan et Color ont été effectuées avant et après collage pour caractériser l’effet des colles sur les concentrations en polyphénols et sur la couleur des moûts.
Les traitements statistiques de ces résultats ont permis de caractériser l’impact de différentes colles sur différentes catégories de moût mais également de déterminer les stratégies de collage pour chacune d’entre elles.
Pour les teneurs en polyphénols, les moûts qui sont riches (catégories P+) doivent être collés pour diminuer leur concentration en polyphénols et prévenir précocement les oxydations. La sous-catégorie P+E-, ayant subi des oxydations enzymatiques, présente systématiquement un besoin de correction de la teinte.
Les catégories P-, pauvres en polyphénols ne présentent pas de besoin de collage pour faire diminuer les concentrations de polyphénols. En revanche, le collage pourra venir corriger la teinte, notamment de la catégorie P-E-, correspondant à des jus oxydés.
Pour donner quelques observations sur la couleur, sur les moûts de blanc, l’effet
principal du collage consiste à corriger la teinte :
- si h°> 75° le mout présente des nuances jaune-vert et le collage a un impact sur le L* uniquement, l’objectif h° étant par ailleurs déjà atteint.
- Si h°<75° le moût présente des pigments bruns, le collage peut avoir un impact sur h° qui varie selon les colles.
Sur les moûts de rosés :
- si L*<50 et h°<35, les moûts sont rouges et foncés. Un collage permet d’éclaircir ces jus sans modifier la teinte.
- Si L*>50, le jus de départ est clair, le collage impacte moins systématiquement le L*, déjà élevé mais a un impact sur h°.
- La catégorie la plus difficile à traiter reste celle des moûts clairs et aux teintes orangées (L*>50 et h°>35) pour lesquels l’utilisation de charbon peut être la seule solution pour avoir un réel impact sur la teinte.
Il ressort également de ces essais que si la présence potentielle de pigments bruns peut être déduite de la catégorie du jus déterminée avec le PolyScan, la clarté des jus doit être systématiquement mesurée pour une correction raisonnée. En parallèle, la présence de pigments bruns liés à de l’oxydation enzymatique n’indique en aucun cas que la concentration de polyphénols est faible et le moût suffisamment stabilisé vis-à-vis de l’oxydation. L’utilisation des deux technologies est complémentaire pour diagnostiquer au mieux un moût et déterminer le collage le plus adapté. Le tableau 1 récapitule les stratégies de collage pour chacune des catégories de moût déterminées par le PolyScan et les éventuels objectifs de correction de couleur associés.
En complément, ces essais de collage ont également mis en avant un impact organoleptique spécifique de chaque colle.
Des dégustations ont été réalisées sur moûts entre une modalité témoin non traitée et les différentes modalités de colles. Celles-ci ont montré que chacune présentait une signature et qu’il était possible de reconnaitre à l’aveugle la colle utilisée. Par exemple, KTS® Flot améliore fortement le volume en milieu bouche alors que Oenovegan® EPL agit plus sur la longueur et corrige les amertumes.
Des essais réalisés à la cave expérimentale du groupe SOFRALAB (Montagnac, 34, France) ont par ailleurs montré que ces signatures se retrouvaient lors d’une dégustation à l’aveugle sur vins. Deux essais ont été conduits, sur un moût de Sauvignon Blanc et un moût de Grenache rosé. Six colles ont été testées au moment du débourbage, puis après débourbage, chaque cuve a été vinifiée exactement de la même manière. Une levure dite « neutre » a été ensemencée pour estimer au mieux l’impact organoleptique de chaque colle. Les vins ont ensuite été mis en bouteille puis dégustés par un jury composés de 25 œnologues. Ces dégustations ont confirmé les tendances organoleptiques observées sur moûts (Figure 6).
De plus, ces tendances se retrouvent lors de l’analyse des composés volatils de type
esters sur les vins (Figure 7).
Un outil d’aide à la décision pour guider le collage a été bâti sur le PolyScan en se basant sur ces différents résultats. Dans le menu « cuve de débourbage », pour chaque moût mesuré, l’application Smart App Collage préconise une colle et une dose à appliquer selon :
- es objectifs de collage déterminés par l’utilisateur (clarification, profil organoleptique, couleur)
- le type de débourbage qui sera effectué (statique ou flottation),
- les contraintes liées à ses marchés (bio, vegan…).
Elle offre également à l’utilisateur la possibilité de restreindre le choix parmi les produits dont il dispose.
En conclusion, les résultats présentés dans cet article, couplés aux expertises terrain des œnologues du groupe SOFRALAB et à celles de la gestion des polyphénols et de la couleur de WQS, ont permis le développement d’une application d’aide au collage utilisable directement en cave.
Celle-ci, intégrée au menu cuve de débourbage du PolyScan, permet la recommandation d’une colle à partir d’une mesure effectuée sur une cuve de débourbage non collée et en fonction des objectifs de collage fixés.
La SMART APP’ COLLAGE permet une mesure instantanée, une prise de décision rapide, à
la cuve et adaptée à chaque matrice. Le bon produit à la bonne dose et au bon moment ; le « mieux » d’intrant. Elle s’inscrit dans la Démarche Oenoterris® pour favoriser une
œnologie préventive et raisonnée pour valoriser la matière première.
C. Pascal, N. Champeau, J-B. Diéval, S. Vidal Méthode électrochimique pour la mesure en temps réel des polyphénols au cours de la vinification, Infowine 2020,
X. Hastoy, S. Marquier, G. Blanc, C. Pascal, Utilisation de la voltamétrie linéaire de balayage pour déterminer la date de récolte de parcelles de Sauvignon Blanc, Revue des Œnologues (176), 2020, 44-46
Vocabulaire International de l’Éclairage. Publication CIE 17.4.- Publication I.E.C. 50(845). CEI(1987). Genève. Suisse.
Méthode OIV-MA-AS2-11 Détermination des caractéristiques chromatiques selon Cielab (Résolution Oeno 1/2006)