Depuis une vingtaine d`années un nouveau mot est apparu pour décrire le gout et les arômes de certains vins : le mot minéralité. Les recherches menées à l’UMR CSGA (Centre des sciences du goût et de l’alimentation) visent à comprendre d`où vient ce mot, a quoi il correspond, comment nous pouvons le définir et si cette sensation est liée a des molécules chimiques spécifiques présentes dans les vins.
La minéralité est, parmi les descripteurs des vins « mal-définis », celui qui intrigue le plus. La presse fait de la minéralité une fabrique de spéculations. Cela génère une confusion dans la communication sur ce concept qui éveille la curiosité de plusieurs scientifiques et ouvre un éventail de possibilités aux tentatives pour le définir. Ceci fait toute la richesse et la complexité des recherches autour des « vins minéraux » (exemples, d`après la presse : le Chablis, le Sancerre, le Riesling d`Alsace, etc.). Les croyances illustrées dans les roues de dégustations, dans les affiches publicitaires attractives ou dans les discours élogieux des producteurs, journalistes et œnophiles, comme par exemple : « pour sentir la minéralité il faut sucer un caillou » ou encore « je bois un vin minéral et je sens une explosion de sensations marines… », nous ont conduit à essayer de comprendre quelle est la représentation sociale de ce descripteur et comment peut-il être utilisé par les différents groupes sociaux concernés?
Le concept de « représentation sociale » permet de mieux comprendre les individus et les groupes en analysant la façon dont ils se représentent eux-mêmes, les autres, les objets et le monde. En l’occurrence elles nous informent sur ce qu’est l’objet social, et elles sont aussi des éléments de partage des groupes, qu’elles permettent d’unifier.
Pour répondre à nos questionnements, les chercheurs du CSGA se sont servis d’une théorie originaire de la psychologie sociale, « la théorie du noyau central » proposée par Jean Claude Abric en 1976. Cette approche est basée sur un système organisé en quatre différentes zones de représentation. Une zone appelée noyau central, qui génère le sens de la représentation et détermine les relations entre les éléments de celle-ci. Ces éléments du noyau central sont en quelques sorte les éléments qui caractérisent l’objet social et sans eux, la représentation n’est plus la même. Des éléments périphériques servent d’ajout à la représentation sociale, mais ne sont pas aussi importants pour la définir.
Pour cela, ils ont travaillé avec deux groupes sociaux : quarante producteurs de vins de Chablis et quarante-sept consommateurs. Au moyen d’une interrogation ouverte (« Quand je vous dis minéralité, qu’est-ce que vous vient à l’esprit ? »), nous leur avons demandé de produire des mots et de leur accorder à chacun une importance sur une échelle de 1 (pas important) à 10 (très important). Avec le croisement de ces deux informations, fréquence de citation et classement d’importance, nous sommes arrivés à la structure de la représentation.
Les résultats ont montré que, chez les producteurs, la zone du noyau central est composée d’éléments à connotation géologique (Chablis, géologie et terroir) et sensorielle (fraîcheur, calcaire et coquillage), tandis que chez les consommateurs, un seul élément évoquant la géologie apparaît : le terroir. Dans les autres zones de la représentation des consommateurs, nous pouvons trouver des éléments qui font référence aux dimensions sensorielles. Toutefois la magnitude de cette représentation des consommateurs est moins marquée quand nous la comparons à celle des producteurs.
Enfin, cette étude a démontré que les consommateurs et les producteurs de vins partagent une représentation commune sur le caractère local de l’origine de la minéralité (terroir), marquée par la mémoire collective. L’aspect sensoriel semble néanmoins plus important dans l’imaginaire des producteurs, que pour les consommateurs, ce qui révèle une pensée sociale unitaire chez les consommateurs.
Pour le moment aucune liaison concrète entre molécules et minéralité n’a été trouvée. Toutefois, la minéralité semble être le résultat de l`interaction de plusieurs sensations (goût, arôme, touché, etc.), qui le transforment dans un descripteur sensoriel multidimensionnel. Comme perspective de poursuite de ces études, il serait intéressant de lier les molécules chimiques présentes dans les vins avec les différentes sensations perçues par les dégustateurs.
References:
Heber Rodrigues, Jordi Ballester, Maria Pilar Saenz-Navajas, Dominique Valentin; Structural approach of social representation: Application to the concept of wine minerality in experts and consumers; Food Quality and Preference, Volume 46, December 2015, Pages 166–172