X. Hastoy1, S. Marquier1, G. Blanc, C1. Lagarde Pascal2
1Mas la Chevalière, domaine Laroche, chemin rural 13, Route de Murviel, 34500 Béziers
2Vinventions, Equipe Œnologie, 7 avenue Yves Cazeaux, 30230 Rodilhan
Résumé
Les vins de Sauvignon blanc présentent typiquement des arômes de pamplemousse, fruits de la passion ou buis, dont l’intensité conditionne leur valorisation. L’influence de la date de récolte sur le profil frais du Sauvignon blanc est bien connue. Une technique simple à mettre en œuvre, permettant de décider de cette date optimale de récolte pourrait faciliter les suivis de maturation. La technique de voltamétrie linéaire de balayage sur électrodes imprimées jetables présente cette simplicité d’utilisation et des données sur Petit et Gros Manseng dans le Sud-Ouest ou sur Chardonnay en Bourgogne ont montré au préalable que les signaux voltamétriques présentaient des baisses significatives au moment des dates optimales pour l’obtention de profils frais ou thiol. Ces données seront présentées dans cet article.
L’objectif de ce travail est d’évaluer l’utilisation de la voltamétrie linéaire de balayage sur électrodes imprimées jetables au cours des contrôle de maturation comme aide à la décision pour le déclenchement des vendanges de Sauvignon Blanc pour l’obtention de profils frais.
En parallèle des contrôles traditionnels, la maturation de trois parcelles a été suivie par cette méthode. A l’issue des contrôles de maturation, l’une des parcelles a été vendangée à deux dates de récolte et deux process de vinification avec et sans macération sur bourbes ont été mis en œuvre. Enfin, à l’issue de la fermentation alcoolique, les vins issus de cet essai ont été comparés à des cuves récoltées de manière traditionnelle.
Le même comportement des signaux voltamétriques a été observé ici et les vins obtenus avec vendange à ces dates de récolte ont montré un caractère frais supérieur à ceux ramassé avec un suivi de maturation traditionnel, confirmant l’intérêt de cette technique dans le déclenchement de vendanges.
Mot clé : Sauvignon blanc, maturation, électrochimie, aide à la décision, date de récolte, profil frais
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Les vins de Sauvignon blanc présentent typiquement des arômes de pamplemousse, fruits de la passion, feuille de tomate ou buis du fait de la présence de thiols tels que la 4-mercaptopentan-2-one, le 3-mercaptohexan-1-ol, ou l’acétate de 3-mercaptohexyle (Darriet 1995, Tominaga 1996), dont les seuils de détection sont compris entre 0,8 et 60 ng/L (Subileau, 2008). Ces notes aromatiques confèrent aux vins de Sauvignon blanc des profils frais qui sont une clé de leur valorisation, y compris lors de leur assemblage.
L’influence de la date de récolte sur la concentration de ces composés et le profil frais du Sauvignon blanc est bien connue (Peyrot des Gachons 2000 ; Lagarde Pascal 2013). En pratique, la dégustation de baie a fait ses preuves pour décider de la date de vendange des parcelles de Sauvignon blanc sur ce profil mais reste lourde à mettre en place. Le test préalable de la voltamétrie linéaire de balayage pour le suivi de maturation de plusieurs cépages blancs semble indiquer qu’elle apporte des informations complémentaires des suivis de maturation traditionnels. L’objectif de ce travail était de confirmer son intérêt comme aide à la décision pour déclencher la récolte dans l’objectif de produire un vin de profil frais.
Pour cela, un contrôle maturité a été effectué 2 fois par semaine à partir de la véraison sur 3 parcelles. Un suivi par voltamétrie linéaire de balayage a été effectué sur les échantillons. L’une des parcelles a été vendangée à deux dates de récolte et deux process de vinification avec et sans macération sur bourbes ont été mis en œuvre. Enfin, à l’issue de la fermentation alcoolique, les vins de cet essai ont été comparés à des cuvées issues de vendanges dont la maturation a été suivie de manière traditionnelle.
Matériel et méthode
Des contrôles de maturité bi-hebdomadaires ont été réalisés sur 3 parcelles de Sauvignon blanc du Mas La Chevalière. 200 baies ont été récoltées selon le protocole OIV. Après avoir été pesées, elles ont été pressées avec un pressoir de laboratoire. Immédiatement après pressurage pour éviter toute oxydation des jus (Ugliano 2015), une analyse par voltamétrie linéaire de balayage a été réalisée à l’aide du NomaSense PolyScan (Wine Quality Solutions, Vinventions) sur des électrodes imprimées jetables à base de carbone. Le titre alcoométrique potentiel a été mesuré au réfractomètre.
Deux dates de récoltes espacées de 4 jours ont été déterminées sur l’une des parcelles. Les raisins ont été récoltés mécaniquement, pressés de manière non inerte pour optimiser la formation éventuelle de précurseurs de thiols (Roland 2010). Le moût a été réparti de manière homogène dans deux cuves de 100 hL, toutes deux enzymées (Lafazym XL press, 2 mL/100 kg) et sulfitées à 4 g/hL. L’une a été débourbée dans les 24h, l’autre a subi une macération sur bourbes de 7 jours à 5°C avec brassage des bourbes 2 fois par jour. Toutes ont été levurées (Zymaflore X5 20 g/hL) et la fermentation thermorégulée à 18°C. A l’issue de la fermentation alcoolique, les thiols ont été analysés par le laboratoire SARCO sur les 4 cuves de l’essai. Ces vins ont été dégustés pour une analyse descriptive en parallèle d’une cuve de Sauvignon blanc du domaine par un jury de 7 dégustateurs experts en fin de fermentation alcoolique puis après 1 et 2 mois de conservation en cuve.
Résultats :
Technique électrochimique, la voltamétrie linéaire de balayage est pratiquée en disposant une électrode de travail, une de référence et une contre électrode dans l’échantillon à analyser. Au cours de l’analyse, des tensions croissantes sont imposées à l’échantillon, ce qui provoque l’oxydation progressive des composés selon leur potentiel d’oxydation. L’intensité générée par ces oxydations renseigne sur la composition de l’échantillon en composés oxydables. Lorsqu’elle est pratiquée sur des électrodes imprimées jetables, cette technique est particulièrement simple à mettre en œuvre et ne nécessite pas de préparation particulière d’échantillon. Dans le cas des contrôles de maturité, la seule précaution à prendre consiste à effectuer la mesure immédiatement après obtention du jus, soit par pressurage, soit par centrifugation des baies pour éviter toute oxydation (Ugliano 2015). Afin de faciliter l’interprétation en temps réel des résultats obtenus en cours de vinification, plusieurs indices ont été calculés à partir des voltamogrammes, notamment une valeur correspondant à des composés phénoliques totaux mesurés au moyen du Folin-Ciocalteu (équivalents d’acide gallique mg/L). Un indice correspondant au courant transmis dans la région des composés phénoliques facilement oxydables peut aussi être calculé. Ces deux paramètres, appelés respectivement PhenOx et EasyOx, peuvent être utilisés pour caractériser les échantillons de raisin et de moût dans l’objectif d’anticiper ou de gérer certaines pratiques œnologiques.
Depuis 2013, de nombreux suivis de maturation ont été effectués sur différents cépages avec cette technologie.
Tout d’abord en Bourgogne sur Chardonnay (domaine Laroche), ces suivis ont été réalisés en parallèle des méthodes classiques de suivis de maturation (analyses TAP, AT, pH…). Les décisions de récolte ont été prises selon les règles habituelles du domaine dans l’objectif d’obtenir des profils aromatiques frais. De manière systématique, des baisses de valeurs des indices PhenOx et EasyOx (Figure 1) ont été observées au cours de la maturation pendant 2 millésimes consécutifs (2013 et 2014) et les dates de récoltes coïncidaient généralement avec les valeurs minimales de ces indices.
En Languedoc, sur des parcelles de Sauvignon blanc, le même constat a été effectué en 2015. La dégustation de baies en parallèle des suivis voltamétriques a montré l’apparition de la sensation d’arômes de type thiol lorsque les valeurs des indices atteignaient un minimum.
Enfin, en 2016, à Jurançon, ce même suivi a été effectué sur du Petit et du Gros Manseng au domaine Nigri en parallèle d’un suivi avec Dyostem® (Vivelys). Poursuivi jusqu’à des dates tardives, ces suivis de maturation ont également permis de mettre en évidence une baisse d’indice au début de la maturation (figure 2), coïncidant avec l’indication d’arrêt de chargement en sucre et de profil thiol par Dyostem. Dans l’exemple présent, la mesure des volumes moyens de baies a de plus permis de calculer des indices par baie et ainsi de mettre en évidence que ces baisses d’indices n’étaient pas liées à une augmentation du volume des baies entrainant une dilution.
Le suivi de maturation par voltamétrie linéaire de balayage a été mis en œuvre au Mas la Chevalière sur 3 parcelles de Sauvignon blanc. Dans les 3 cas, un minimum a été observé pour les 2 indices PhenOx (figure 3) et EasyOx. Le poids moyen des baies à chaque point de prélèvement a été calculé. Chaque indice, multiplié par le poids moyen des baies permet d’estimer un indice par baie tout comme cela est a été décrit pour le calcul de la quantité de sucre par baie (Deloire 2011). Cette méthode permet d’éliminer des suivis les effets de dilution ou concentration liés aux conditions météorologiques notamment. L’évolution des indices PhenOx et EasyOx par baie a ainsi permis de confirmer que les baisses n’étaient pas liées à un phénomène de dilution. La quantité de sucre par baie estimée de la même façon a permis d’évaluer un arrêt de chargement en sucres aux alentours du 9 août sur ces 3 parcelles, confirmant que les minima d’indice coïncident avec cet arrêt connu pour être le début de la séquence aromatique des baies (Deloire 2011). A ce jour, aucune hypothèse quant à l’origine de ce phénomène n’a été émise, des travaux seront mis en place prochainement sur ce sujet.
L’atteinte du minimum a été confirmée lors du prélèvement du 13/08 et les parcelles ont été vendangées à 2 dates : à savoir les 18 et 22/08, soit 9 et 13 jours après l’atteinte du minimum des indices.
En comparaison, les autres parcelles du domaine ont été ramassées lorsque leur TAP a atteint 12.5 % vol, ce qui en moyenne a conduit à des dates de récoltes estimées 13 à 17 jours après l’arrêt de chargement en sucres estimé comme précédemment (Deloire 2005). Une des cuves issues de ces parcelles a été utilisée comme cuve témoin pour les dégustations, étant jugée comme représentative du profil des vins de Sauvignon blanc du domaine.
Profil analytique et organoleptique des vins
Les analyses de thiols réalisées sur les 4 modalités (date 1 et 2, stabulée et non stabulée sur bourbes) ont révélé des concentrations de 3MH d’environ 300 ng/L soit 5 fois environ au-dessus du seuil de perception. Cependant, aucune différence significative de concentration n’a pu être mise en évidence par l’analyse, sachant que l’incertitude assez élevée (20%) sur l’analyse de ces composés rend fréquemment la mise en évidence de différences significatives difficile.
Au contraire, trois dégustations ont été réalisées à 1 mois d’intervalle à partir de la fin de fermentation alcoolique et ont permis de mettre en évidence des différences de profils entre les modalités de l’essai et la cuve témoin du domaine. Seuls les résultats de la dégustation 1 mois après fin de fermentation (figure 4) sont présentés ici mais ces dégustations ont conduit à des évaluations similaires.
La date de récolte précoce (notée date 1) apparait de manière générale plus intense en notes fraiches (bourgeon de cassis, citron vert) au nez. Elle est plutôt décrite comme végétale en bouche. La 2e date de récolte est décrite avec un profil plus mûr (citron, pamplemousse, fruit exotique) et fermentaire (poire) au nez comme en bouche. La cuve témoin récoltée et vinifiée comme traditionnellement sur le domaine apparait plus fermentaire (banane, pêche) au nez et en bouche.
Au niveau de l’équilibre en bouche, la première date apparait systématiquement plus acide que la deuxième date. La cuve témoin est décrite comme plus sucrante mais également plus amère et astringente que les 2 dates de récoltes.
L’effet de la macération sur bourbe n’a pas été significativement mis en évidence par la dégustation dans cet exemple, même si de manière générale, les modalités ayant subi une macération sur bourbes présentent des notes plus élevées sur les descripteurs aromatiques frais (bourgeon de cassis, citron, fruit de la passion…).
Le test de Tukey a permis de mettre en évidence que dès la fin de FA, la cuve de date 1 non stabulée était décrite de manière significativement différente des cuves de date 2 stabulées et non stabulées.
Enfin, un test de préférence a été réalisé sur un panel d’une trentaine de professionnels. De manière systématique, la première date, stabulée ou non stabulée a été considérée comme le vin préféré du panel.
Conclusion :
Le travail présent a permis de mettre en évidence que la voltamétrie linéaire de balayage est un outil simple d’utilisation et complémentaire des méthodes traditionnelles de suivi de maturation. Cette technique apporte un paramètre de décision complémentaire quant au déclenchement de vendange, pour le moins dans le cas de cépages blancs récoltés pour l’obtention de profils frais tels que les cépages Sauvignon blanc ou Manseng.
Sa simplicité réside dans l’utilisation d’électrodes jetables et dans la mesure directe sur les jus sans préparation d’échantillon préalable. Le seul écueil à éviter dans le cas des contrôles maturité est l’oxydation rapide des jus qui nécessite de réaliser la mesure immédiatement après leur obtention.
Le travail sur Sauvignon blanc décrit ici a permis de remettre en évidence l’effet de récoltes séquentielles sur le profil des vins obtenus. Les 4 jours de différence entre les 2 dates de récoltes, définies grâce à l’indice PhenOx, conduisent à des vins de profils organoleptiques distincts.
Remerciements au domaine Nigri (Jurançon) et au domaine Laroche (Chablis)
Darriet, P., Tominaga, T., Lavigne, V., Boidron, J.-N., Dubourdieu, D. (1995). Identification of a powerful aromatic component of Vitis vinifera L. var. Sauvignon wines: 4-mercapto-4-methylpentan-2-one. Flavour and Fragrance Journal 10, 385-392.
Deloire A. (2011) The concept of berry sugar loading. WineLand, 81-83.
Lagarde Pascal C., Bernard N., Cros S., Grelier S., Fargeton L. (2013) Pilotage de l’élaboration de vins blancs de profil aromatique thiol : de la vigne à la mise en bouteille. Rev Œnologues 149S, 33-35.
Deloire A. (2005) Predicting harvest date using berry sugar accumulation. Practical Winery & Vineyard
Peyrot des Gachons, C. (2000) Recherches sur le Potentiel aromatique des raisins de Vitis vinifera L. cv.Sauvignon blanc, Thèse de doctorat de l’Université Bordeaux 2, 176 p.
Roland, A. (2010). Influence des phénomènes d’oxydation lors de l’élaboration des moûts sur la qualité aromatique des vins de Melon B. et de Sauvignon Blanc en Val de Loire, Thèse de doctorat Montpellier Supagro. 127 p.
Subileau, M. (2008). Parameters influencing varietal thiol release by strains of Saccharomyces cerevisiae : from a controlled synthetic medium to the complexity of Sauvignon blanc must. Thèse de doctorat de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Montpellier. 156p.
Tominaga, T., Darriet, P., Dubourdieu, D. (1996). Identification of 3-mercaptohexanol acetate, compound having a powerful odor reminiscent of box-tree, involved in the aroma of Sauvignon wines. Vitis 35, 207-210.
Ugliano M., Wirth J., Begrand S., Diéval JB., Vidal S. Une nouvelle approche voltamétrique pour l’analyse des polyphénols des raisins blancs et le suivi des opérations préfermentaires. Rhône en VO, 2015, 36-45.